Concilier cancer du sein métastatique et vie professionnelle : comment faire ?
Les progrès des prises en charge des cancers du sein métastatique permettent à de nombreuses femmes atteintes d’envisager, si elles le souhaitent, un retour au travail et un maintien dans l’emploi. Des aménagements sont souvent nécessaires pour qu’elles puissent travailler sereinement tout en préservant leur santé. L’information des patientes sur les soutiens à leur disposition, la sensibilisation des entreprises sur la maladie et une bonne communication entre la patiente et son entourage professionnel contribuent à une reprise réussie, comme le soulignent de récentes enquêtes et l’expérience du Dr Heudel, oncologue au Centre Léon Bérard de Lyon.
Aujourd’hui, les traitements des cancers du sein métastatiques peuvent aider les femmes atteintes à conserver une qualité de vie leur permettant de travailler, mais l’impact de la maladie sur la vie professionnelle demeure important.
Près de 9 femmes touchées par ce cancer sur 10 ont besoin d’un aménagement pour exercer leur métier : temps partiel, télétravail, changement de poste…1
Il existe un décalage entre la perception de l’impact de la maladie par les femmes atteintes et leur entreprise.
L’information sur le cancer du sein métastatique et ses traitements doit être améliorée.
Les femmes touchées par le cancer du sein métastatique doivent être accompagnées et leur confiance dans leur valeur dans l’entreprise, restaurée.
Des progrès thérapeutiques qui augmentent l’espérance et la qualité de vie
Parmi les cancers du sein, 5% sont d’emblée métastatiques et 20 à 30 % peuvent développer des métastases à long terme2. Le cancer du sein métastatique ne peut pas être guéri, mais les avancées des traitements permettent aujourd’hui de mieux contrôler la progression de la maladie sur la durée. Les femmes atteintes de ce cancer peuvent vivre de nombreuses années et certaines sont en vie plus de 10 ans après le diagnostic2. Les traitements des cancers du sein métastatiques sensibles aux récepteurs hormonaux, les plus fréquents, se basent sur l’hormonothérapie et les thérapies ciblées, administrées par voie orale ou intramusculaire à domicile.
Une chimiothérapie et une radiothérapie peuvent être requises pour traiter certains de ces cancers. Des traitements symptomatiques, par exemple pour soulager les douleurs, sont également prévus. Cette prise en charge peut permettre le maintien d’une qualité de vie satisfaisante2.
Un impact important sur la vie professionnelle des femmes touchées
Malgré cela, le cancer du sein métastatique est éprouvant à vivre et bouleverse les repères quotidiens des femmes concernées. Concilier les traitements et les aléas de la maladie avec la vie professionnelle n’est pas toujours simple !
En 2020, une enquête3 a été menée sur la charge mentale des femmes atteintes de cancer du sein métastatique. Elle montre que la maladie a un impact plus puissant sur la vie professionnelle que sur d’autres dimensions telles que la vie sociale et affective, la forme et l’humeur ou les problèmes quotidiens.
Les femmes souffrant de cancer du sein métastatique et qui travaillent estiment à 67% que leur épanouissement professionnel s’est dégradé suite à la maladie. De plus, 45 % d’entre elles ont le sentiment d’avoir perdu en compétences et 30% déclarent une détérioration de leur situation économique et financière après la maladie3.
Un besoin de flexibilité pour concilier le travail avec les effets de la maladie et ses traitements
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Une enquête1 a récemment été menée par le Collectif 1310 auprès de 230 femmes atteintes de cancer du sein métastatique (dont 82% avaient une activité professionnelle au moment de l’enquête) ainsi que 51 managers et responsables des ressources humaines (RH) d’entreprises*. Elle montre que l’irruption de la maladie entraîne d’importants changements dans l’activité professionnelle. Les répondantes ont largement eu besoin d’aménagements pour concilier leur maladie et ses traitements avec leur travail : 41% des femmes employées ont eu des absences, 38% un temps partiel, 27% du télétravail, 19% un changement de poste ou d’horaires1. Seulement 13% n’ont pas fait d’aménagement pour exercer leur métier1.
Selon les femmes interrogées, les principaux soucis qui se posent pour elles en entreprise sont l’articulation entre vie professionnelle et contraintes des traitements (63%) et l’impact des traitements sur la capacité de travail (53%)1. Lorsqu’on demande aux femmes quels devraient être les principaux axes d’action de leur entreprise en faveur de la conciliation entre cancer du sein et travail, 55% souhaiteraient de la flexibilité de la part de leur employeur1.
Des perceptions différentes entre les patientes et les entreprises
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Selon la même enquête, la vision des managers et RH sur la gestion du cancer du sein métastatique dans l’entreprise est en décalage avec le vécu des patientes, révèle l’enquête4. En effet, 55% d’entre eux estiment que leur entreprise informe et sensibilise sur le sujet du cancer du sein métastatique, contre 7% des patientes1. De même, 45% pensent que leur entreprise fournit un dispositif d’accompagnement spécifique, contre 12% des patientes1.
Par ailleurs, les managers et RH sont plus positifs que les patientes sur l’impact des collaboratrices atteintes d’un cancer du sein métastatique dans l’entreprise, en termes de productivité, de cohésion interne, d’organisation ou de gestion des priorités. Plus des ¾ d’entre eux pensent même que vivre avec un cancer du sein métastatique est de nature à générer de nouvelles compétences ou capacités professionnelles, contre seulement 43% des patientes1. Les femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique ont leur place dans l’entreprise selon 78% des femmes concernées et 92 % des RH et managers1. D’une manière générale, les femmes interrogées ont une représentation plutôt négative et « sous-cotée » de leur influence dans l’entreprise, signe d’une tendance à la sévérité envers elles-mêmes.
Selon le Collectif 1310, certains décideurs d’entreprises peuvent estimer, à tort, connaître le vécu et les défis des femmes atteintes de cancer du sein métastatique dans leur vie professionnelle mais sous-estimer l’impact de la maladie sur les patientes4. Charge aux entreprises de s’informer sur la maladie et de mieux écouter les patientes, et à celles-ci d’en parler sans crainte d’être pénalisées. Les femmes atteintes de cancer du sein métastatique doivent pouvoir restaurer leur « capital confiance » : leur accompagnement devrait être renforcé afin qu’elles se perçoivent non comme un fardeau mais comme une contribution pour l’entreprise4.
Interview du Dr Pierre Heudel, oncologue médical au Centre Léon Bérard (Lyon)
Biographie du Dr Pierre Heudel
Arrivé au CLB en 2007, le Dr Pierre Heudel est oncologue médical spécialisé dans la prise en charge des cancers du sein et responsable du centre de coordination de cancérologie. Il est impliqué dans une importante activité de recherche clinique et dans l’e-santé : le spécialiste est référent cancer et télémédecine en région Auvergne Rhône-Alpes, porteur de projets de recherche sur l’usage de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé.
Au diagnostic, comment la question de la vie professionnelle des femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique devrait-elle être abordée ?
La phase initiale de la prise en charge est souvent difficile pour la patiente, qui a des deuils à faire : de la bonne santé, de la vie « comme avant »... L'arrêt de travail lui laisse du temps, sans souci de la question professionnelle et des revenus, pour accepter le diagnostic et la « chronicisation » de la maladie. Ensuite seulement se posent les questions du retour et du maintien à l'emploi, voire de l’engagement dans une autre activité. Pour beaucoup de femmes, la vie professionnelle fait partie de leur équilibre, et grâce aux progrès des traitements, elles souhaitent et peuvent travailler. Cependant, dans certains types de cancers du sein métastatique, la prise en charge ambulatoire avec des hospitalisations courtes n’est pas possible. Le retour et le maintien à l'emploi doivent être promus de façon générale, mais pas forcés au niveau individuel.
Quelles sont les questions que les femmes se posent lorsqu’elles souhaitent reprendre le travail ?
Ce sont principalement des questions pratiques : Que dois-je faire, à quel moment ? L’entreprise pourra-t-elle s’adapter au rythme de mes consultations et de mes examens ? Le médecin qui suit la patiente doit pouvoir la rassurer, mais j'insiste sur l’importance de la « visite de pré-reprise » auprès du médecin du travail dans le mois qui précède le retour à l’emploi5. En tant qu’oncologue, je connais la pathologie, les effets indésirables des traitements et les rythmes de prise en charge, mais je ne connais pas précisément le métier de ma patiente : c'est le médecin du travail qui fait le lien entre la profession et la santé. Quand la patiente travaille dans une petite structure, le médecin généraliste peut aussi aider par son approche globale : il a son rôle à jouer.
Pour s’informer : le guide « Emploi et cancer du sein métastatique »
Réalisé par Pfizer, le guide pratique « Emploi et cancer du sein métastatique » a été conçu en collaboration avec un groupe d’experts pour apporter aux femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique les réponses pratiques aux questions qu’elles peuvent se poser sur leur vie professionnelle : arrêt de travail, retour à l’emploi, maintien dans l’emploi, droits, dispositifs de soutien… Son objectif : informer les femmes concernées par la maladie, faciliter leur parcours professionnel avec la maladie et les aider à faire les choix qui leur conviennent.
Consultable et téléchargeable en cliquant ici.
Les femmes connaissent-elles les dispositifs qui peuvent leur permettre de poursuivre leur activité professionnelle ?
Généralement non, et les oncologues ne sont pas les mieux formés non plus sur ces sujets. D'où le rôle fondamental du médecin du travail, mais aussi de l’apport précieux des associations et des supports d’information. Toutes les solutions permettant aux patientes de trouver une réponse fiable et validée à leurs propres problématiques devraient être diffusées auprès des patientes.
De retour au travail, les patientes arrivent-elles à parler à leurs collègues ou supérieurs hiérarchiques de leur maladie et des difficultés auxquelles elles sont confrontées ?
Cela varie selon le profil de la patiente et de sa situation professionnelle, mais surtout selon les relations que la patiente avait avec son entourage professionnel avant son départ et des capacités des uns et des autres à communiquer à son retour. A la reprise, il y a souvent des ambivalences : les patientes souhaitent qu’on considère leurs compétences intactes et en même temps, qu’on comprenne ce qu’elles ont vécu et qu’on tienne compte de leurs difficultés à ne plus pouvoir travailler comme avant. De leur côté, les collègues ou les supérieurs hiérarchiques peuvent se dire que si leur collaboratrice est revenue, c’est qu’elle peut reprendre son poste comme avant. D’autres au contraire peuvent être effrayés ou mal à l’aise avec la maladie et éviter d’échanger sur la maladie ou de travailler avec elle. L’estime de soi de la patiente peut être mise à mal dans les deux cas où on lui demande trop ou pas assez. De plus, en cas de cancer du sein hormono-dépendant sous traitement, la maladie de la femme peut être quasi invisible, sans les signes habituellement associés au cancer comme la chute de cheveux, la maigreur2... C’est troublant pour l’entourage professionnel, qui ne peut pas toujours mesurer le sérieux de la situation.
Quelles sont selon vous les options les plus adaptées pour la reprise d’emploi ?
Après l’arrêt de travail initial, j’encourage le mi-temps thérapeutique6 qui permet de reprendre l’activité professionnelle en douceur. Le télétravail est également une bonne solution pour éviter à la patiente la fatigue des transports. Toute souplesse de la part de l’entreprise permettant que le retour à l’emploi de la patiente se passe bien est bienvenue. Cela ne dépend ni du secteur d’activité, ni de la taille de l’entreprise, mais de la compréhension de la direction et des managers de proximité. Les entreprises sont généralement mal informées sur le cancer du sein : quand le retour d’une patiente se passe bien, c'est souvent parce qu'il y a déjà eu une collaboratrice touchée par un cancer du sein dans l'histoire de l'entreprise.
Quelles sont les principales zones de friction entre les besoins des patientes et celles de l’entreprise ?
L'activité professionnelle est en général lissée dans le temps, linéaire et régulière. Or lors d’un cancer, il peut y avoir des phénomènes aigus, des hospitalisations imprévues, des besoins d'examen urgents, des maladies intercurrentes compliquées pour les patientes… Cela peut mettre en difficulté les patientes dans leur activité professionnelle : les entreprises devraient pouvoir faire preuve de flexibilité dans leur organisation, ce qui n’est évidemment pas toujours facile car leurs contraintes peuvent être fortes.
Que conseillez-vous aux patientes pour concilier le travail et la fatigue due à la maladie et ses traitements ?
Les patientes doivent faire preuve de bienveillance envers elles-mêmes. Après l’épreuve du cancer et sous traitement, la fatigabilité ainsi que les difficultés de mémorisation et de concentration sont normales7. Pour les aider, je leur suggère des exercices de mémoire et de l’activité physique. J’essaie aussi de prendre en compte les contraintes professionnelles dans la prise en charge, par exemple en prévoyant des traitements hospitaliers les jeudis et en leur prescrivant un arrêt pour le vendredi afin qu’elles puissent se reposer trois jours de suite.
Certaines patientes craignent d’avoir perdu en compétences et en valeur pour l’entreprise au retour à l’emploi, mais ne peuvent-elles pas en avoir gagné ?
Certainement. Après une période d’adaptation réciproque entre les besoins de la patiente et ceux de l’entreprise, l’entreprise va retrouver une personne qui a ajouté des compétences et un savoir-être à celles qu’elle avait avant son départ. Chez de nombreuses femmes, l’expérience du cancer donne de la maturité et une capacité à mieux gérer les priorités, des qualités qui peuvent être reconnues par l’entreprise.
Selon vous, y a-t-il encore des points à améliorer pour une bonne conciliation entre cancer du sein métastatique et travail ?
Du côté des entreprises probablement, mais plus globalement du côté de la société, qui doit être mieux informée sur le cancer et les évolutions des prises en charge. Autrefois, un cancer signifiait pour la plupart des gens que la personne malade n’avait que quelques mois à vivre, donc la question du travail n’entrait pas en ligne de compte. Aujourd’hui, des personnes ayant même un cancer avancé peuvent vivre des années avec une bonne qualité de vie grâce à des traitements ambulatoires et moins d’effets indésirables2. Il est donc nécessaire de communiquer largement sur ce changement de paradigme. Et en amont, il faut que l’on puisse parler du cancer et non d’une « longue maladie » : le tabou du « cancer » doit cesser.
A votre écoute ! Le podcast « Cancer et travail »
Réalisé par Delphine Remy, le nouvel épisode de son podcast « Naître princesse, devenir guerrière » est un regard croisé entre le Dr Pierre Heudel et Elodie, touchée par un cancer du sein métastatique, sur le travail à l’épreuve de la maladie. La jeune femme raconte comment elle a trouvé un travail épanouissant dans des conditions flexibles lui permettant de concilier sa vie professionnelle avec les impératifs de la maladie et ses traitements.
PP-UNP-FRA-3312
Pour comprendre
* A noter que dans l’échantillon choisi pour l’enquête, 34% des patientes provenaient de grandes entreprises (+ de 1000 salariés), et 43% de petites et moyennes entreprises (- de 250 salariés) vs 55% managers et RH provenant des grandes entreprises, et 18% provenant des petites et moyennes entreprises.
Sources: